C.

Creating an imaginary truth for himself by Paul Veyne

Truth is Balkanized by forces and blocked by forces. Worship and love of the sovereign reflect the efforts of the subjugated to gain the upper hand: “Since I love him, therefore he must wish me no harm.” (A German friend told me that his father had voted for Hitler to reassure himself; since I vote for him, Jew that I am, it is because in his heart he believes as I do.) And, if the emperor demanded or, more often, allowed himself to be worshiped, this served as “threatening information.” Since he can be worshiped, let no one think to contest his authority. The Egyptian theologians who elaborated a whole ideology of the king-god must indeed have had some interest in doing so, even if it were only to provide themselves with an uplifting novel. Under France’s Old Regime, people believed and wanted to believe in the king’s kindness and that the entire problem was the fault of his ministers. If this were not the case, all was lost, since one could not hope to expel the king the way one could remove a mere minister. As we see, causality is always at work, even among those who supposedly undergo its effects. The master does not inculcate an ideology in the slave; he has only to show that he is more powerful. The slave will do what he can to react, even creating an imaginary truth for himself. The slave undertakes what Léon Festinger -a psychologist with an innate shrewdness, whose insights are instructive – calls a reduction of dissonance.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths? :
An Essay on the Constitutive Imagination,
Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 90 – 91

La Vérité est balkanisée par des forces et bloquée par des forces. L’adoration et l‘amour du souverain sont des efforts impuissants pour reprendre le dessus sur la soumission: « puisque je l’aime, il ne me veut donc pas de mal ». (Un ami allemand m’a raconté que son père avait voté pour Hitler pour se rassurer : puisque je vote pour lui, tout juif que je suis, c’est donc qu’au fond il pense com- me moi). Et, si l’empereur se faisait ou, plus souvent, se laissait adorer, cela servait d’« information de menace» : puisqu’il est adorable, que nul ne s’avise de contester son autorité. Les théologiens égyptiens qui ont élaboré toute une idéologie du roi-dieu devaient bien avoir quelque intérêt à le faire, ne serait-ce que celui de se donner un roman exaltant. Sous notre Ancien Régime, on croyait, on voulait croire à la bonté du roi, tout le mal ne venant que de ses ministres; sinon, ce serait à désespérer de tout, puis- qu’on ne pouvait espérer chasser le roi comme on chasse un simple ministre. Comme on voit, la causalité est toujours active, même chez les prétendus causés: le maître n’inculque pas une idéologie à l’esclave, il lui suffit de se montrer plus puissant que lui; l’esclave fera ce qu’il pourra pour réagir, serait-ce en se forgeant une vérité imaginaire. L’esclave procède à ce que Leon Festinger, psychologue instructif, car né malin, appelle une réduction de la dissonance.

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 101

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 101

T.

To believe is to obey by Paul Veyne

Each society had its doubters, who were more or less numerous and bold, depending on the indulgence displayed by the authorities. Greece had its share, as is attested by a remarkable line from Aristophanes‘ The Knights*. A slave despairing over his fate says to his companion in misfortune, “The only thing left to do is to throw ourselves at the feet of the gods,” and his comrade answers him, “Indeed! Say, then, do you really believe that there are gods?” I am not sure that this slave’s eyes were opened by the Sophist enlightenment. He belongs to the irreducible fringe of unbelievers who make their refusal less because of reason and the movement of ideas than in reaction to a subtle form of authority, the very same authority that Polybius attributed to the Roman Senate and that is practiced by all those who ally their throne to the altar**. Not that religion necessarily has a conservative influence, but some modalities of belief are a form of symbolic obedience. To believe is to obey. The political role of religion is not at all a matter of ideological content.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths?: An Essay on the Constitutive Imagination, Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 31-32

Chaque société a eu se cancres en piété, plus ou moins nombreux et effrontés selon que l’autorité était plus ou moins indulgente, La Grèce a eu les siens au témoignage d’un vers remarquable des Cavaliers d’Aristophane*; un esclave qui désespère de son sort dit à son compagnon d’infortune: «Il ne nous reste plus qu’à nous jeter aux pieds de images des dieux », et son camarade lui répond: « Vraiment! Dis tu crois vraiment qu’il y a des dieux ?»; je ne suis pas sûr que ce esclave ait eu les yeux dessillés par les Lumières des Sophistes: appartient à la marge incompressible d’incrédules dont le refuses moins dû à des raisonnements et au mouvement des idées qu’a une réaction contre une forme subtile d’autorité, celle-là même que Polybe attribuait au sénat romain et que pratiqueront tous ceux qui allieront leur trône à l’autel**. Non que la religion ait nécessairement une influence conservatrice, mais certaines modalités de croyance sont une forme d’obéissance symbolique; croire, c’est obéir. Le rôle politique de la religion n’est nullement une affaire de contenu idéologique.

Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 44

*Aristophane, Cavaliers, 32; cf. Nilsson, Geschichte der griech Religion, vol. I, p. 780

** Polybe, VI, 56; pour Flavius Josèphe, Contre Apion, Moïse a vu dans la religion un moyen de faire la vertu (II, 160). Même liaison utilitaire de la religion et de la morale chez Platon, Lois, 839 Cet 838 BD. Et chez Aristote, Métaph., 1074 B4.

Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 44