W.

We have given their meaning to words by Ludwig Wittgenstein

Never forget that words have no other meaning than the one you have given them, and this meaning derives from our explanations. I can provide the definition of a word and use it according to the terms of that definition; or those who teach me the use of the word can give me the necessary explanations. Alternatively, we may consider as an explanation of the word all that we can possibly explain when questioned. I mean when we are ready to give an explanation, for, in most cases, we are not. Thus, many words do not have very precise meanings. But this is not a defect. To believe that it is a defect would be somewhat like saying that my bedside lamp is not a real lamp because I cannot say with certainty where the edge of its light ends. Philosophers often talk about seeking and analyzing the meaning of words. But let us remember that it is we who have given their meaning to words, that they do not derive it from an independent power; thus it is possible for us to conduct a scientific investigation into the real meaning of a word. A word has the meaning given to it by someone. Some words have several clearly defined meanings that are easy to enumerate and differentiate. There are others about which we can only say this: “They are so frequently used in different senses that the different senses have become entangled.” It is not surprising, then, that we are unable to formulate strict rules for their use.


N’oubliez jamais que les mots n’ont d’autre signification que celle que vous leur avez donnée, et ce sens ils le tiennent de nos explications. Je puis donner la définition d’un mot et l’utiliser selon les termes de cette définition; ou ceux qui m’apprennent l’usage du mot peuvent me donner les explications nécessaires. On encore, nous pouvons entendre par explication du mot tout ce que, lorsqu’on nous interroge, il nous est possible d’expliquer. J’entends, lorsque nous sommes prêts à donner une explication, car, dans la plupart des cas, nous ne le sommes pas. Ainsi, nombreux sont les mots qui n’ont pas de sens très précis. Mais ce n’est pas là un défaut. Croire que c’est un défaut, ce serait à peu près comme si je vous disais que ma lampe de chevet n’est pas une vraie lampe parce que je suis incapable de dire avec certitude où s’arrête l’orbe de sa lumière. Les philosophes parlent très souvent de chercher, d’analyser le sens des mots. Mais souvenons-nous que c’est nous qui avons donné leur sens aux mots, qu’ils ne le tiennent pas d’une puissance indépendante ; ainsi nous est il possible de procéder à une enquête scientifique sur la signification réelle d’un mot. Un mot a le sens qui lui est donné par quelqu’un. Certains mot ont plusieurs sens clairement définis et qu’il est facile d’énumérer et de différencier. Il en est d’autres dont nous ne pouvons dire autre chose que ceci : “Ils sont si fréquemment utilisés dans des sens différents que les différents sens se sont enchevêtrés.” Il n’est pas étonnant alors que nous soyons incapables, pour leur utilisation, de formuler des règles strictes.

Ludwig WittgensteinLe cahier bleu et le cahier brun (1933 – 1934) – suivi de Ludwig Wittgenstein par Norman Malcolm, Tell, Gallimard, Paris, 1998, p. 84

E.

Everything around us is not clear by Ludwig Wittgenstein

And why be surprised at the absence of a definition of time if one is not surprised at the lack of a definition for the word “chair”? Why not display the same curiosity in all cases where we use a term that has not been defined? For a precise definition indeed specifies the logical use of a word in a sentence. And in fact, it is this grammatical logic of the word “time” that will astonish us. We merely express this astonishment by posing the somewhat incongruous question: “What is it?” This is a symptom of a discomfort we feel because everything around us is not clear, similar to the endless “whys” children repeat. They also denote a certain discomfort of thought and are not necessarily concerned with discovering a cause or reason. (Hertz, Principles of Mechanics.) But what astonishes us in the logical uses of the term “time” are what we might call their apparent contradictions. Saint Augustine was astonished by one of these contradictions when he posed the question: “How can one measure time?” For one cannot measure elapsed time which is in the past, nor future time which does not yet exist, and how would one measure the present which lacks extent?


Et pourquoi s’étonner de l’absence d’une définition du temps si l’on ne s’étonne pas de manquer d’une définition du mot « chaise » ? Pourquoi ne pas manifester la même curiosité dans tous les cas où nous utilisons un terme qui n’a pas été défini ? La définition précise en effet la logique d’emploi d’un mot dans la phrase. Et en fait c’est cette logique grammaticale du mot temps qui aura de quoi nous surprendre. Nous ne faisons qu’exprimer cet étonnement en posant la question, un tant soit peu incongrue: « Qu’est-ce que? » C’est là le symptôme d’un malaise que nous éprouvons parce que tout n’est pas clair autour de nous, c’est à peu près l’équivalent des « pourquoi » que les enfants répètent sans cesse. Ils dénotent eux aussi un certain malaise de la pensée et ne se préoccupent pas nécessairement de découvrir une cause ou une raison. (Hertz, Principes de mécanique.) Mais ce qui nous étonne dans les usages logiques du terme « temps », ce sont ce que nous pourrions appeler leurs contradictions apparentes. Saint Augustin s’étonnait d’une de ces contradictions, lorsqu’il posait la question: « Comment peut-on mesurer le temps ? » Car on ne saurait mesurer le temps écoulé qui se trouve dans le passé, ni le temps futur qui n’existe pas encore, et comment mesurerait on le présent qui est privé d’étendue ?

Ludwig Wittgenstein, Le cahier bleu et le cahier brun – suivi de Ludwig Wittgenstein par Norman Malcolm, Tell, Gallimard, Paris, 1998, p. 80