R.

Reasonable advice into unreasonable results by Raymond Aron

History is not predictable, accidents happen and passions can turn reasonable advice into unreasonable results. But perhaps there is a solution, the real solution, the only solution: it is to say that, even in times of disaster, even in times of political religion, there is one human activity that is perhaps more important than politics: the search for Truth.

Raymond Aron, 1952

Car l’histoire n’est pas prévisible, les accidents sont multiples et les passions peuvent transformer les conseils raisonnables en résultats déraisonnables. Il y a peut-être tout de même une solution, la vraie, l’unique solution: c’est de se dire que, même dans les périodes de catastrophes, même dans les périodes de religions politiques, il y a une activité de l’homme qui est peut-être plus importante que la politique: c’est la recherche de la Vérité.

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 245

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 245

H.

Human history and individual reason by Raymond Aron

Nothing was more seemingly unreasonable than Hitler’s war, and nothing seemed more reasonable to the Communists who found that it could be used to spread Sovietism in Eastern Europe. Nothing seemed wiser than to avoid the risk of war in 1938; nothing seemed more unreasonable when war broke out a year later. Human history is made up, indefinitely, of actions, each of which can be explained individually, but the result of which seems to have little or nothing to do with people, individually or collectively.

Raymond Aron, 1952

Rien n’était en apparence plus déraisonnable que la guerre d’Hitler, et rien n’a paru plus raisonnable aux yeux des communistes qui ont trouvé qu’elle pouvait servir à répandre le soviétisme dans l’est de l’Europe. Rien n’était plus sage en apparence que d’éviter le risque de guerre en 1938: rien n’a paru plus déraisonnable quand la guerre a éclaté un an après. L’histoire humaine est faite, indéfiniment, d’actions dont chacune est explicable en particulier, mais dont le résultat paraît presque sans rapport avec les hommes, individuellement ou collectivement.

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 225

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 225

H.

Human drives are similar to themselves by Raymond Aron

It is enough to assume these elementary traits of human nature, it is enough to assume that what the psychoanalyst calls the human drives are similar to themselves, for the fundamental data of the coexistence of men in society, that is to say the formal problems of the social order and the political order, to remain basically similar. And if this is the case, there is the possibility of good or bad regimes, that is to say better or less good regimes, there is the possibility, in exceptional phases, of a satisfactory equilibrium, but there is not even the possibility of conceiving of an end to the struggles between men, that is to say this kind of stabilisation of the political and social order which is the dream of those who believe in the end of History.

Raymond Aron, 1952

Il suffit de supposer ces traits élémentaires de la nature humaine, il suffit de supposer ce que le psychanalyste appelle les pulsions humaines semblables à elles-mêmes, pour que les données fondamentales de la coexistence des hommes en société, c’est-à-dire les problèmes formels de l’ordre social et de l’ordre politique, restent en leur fond semblables. Et si tel est le cas, il y a possibilité de régimes bons ou mauvais, c’est-à-dire meilleurs ou moins bons, il y a possibilité, dans des phases exceptionnelles, d’équilibre satisfaisant, mais il n’y a pas possibilité même de concevoir la fin des luttes des hommes entre eux, c’est-à-dire cette espèce de stabilisation de l’ordre politique et social qui est le rêve de ceux qui croient à la fin de l’Histoire

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 239

Raymond Aron, “Histoire et conception de l’histoire” in Introduction à la philosophie politique (1952), Editions de Fallois, Le Livre de Poche, Paris, 1997, p. 239

C.

Coexistence of contradictory truths in the same mind by Paul Veyne

Compared to the Christian or Marxist centuries, Antiquity often has a Voltairean air. Two soothsayers cannot meet without smirking at each other, writes Cicero. I feel I am becoming a god, said a dying emperor.
This poses a general problem. Like the Dorzé, who imagine both that the leopard fasts and that one must be on guard against him everyday, the Greeks believe and do not believe in their myths. They believe in them, but they use them and cease believing at the point where their interest in believing ends. It should he added in their defense that their bad faith resided in their belief rather than in their ulterior motives. Myth was nothing more than a superstition of the half-literate, which the learned culled into question. The coexistence of contradictory truths in the same mind is nonetheless a universal fact. Lévi-Strauss’s sorcerer believes in his magic and cynically manipulates it. According to Bergson, the magician resorts to magic only when no sure technical recipes exist. The Greeks question the Pythia and know that sometimes this prophetess makes propaganda for Persia or Macedonia; the Romans fix their state religion for political purposes by throwing sacred fowl into the water if these do not furnish the necessary predictions: and all peoples give their oracles – or their statistical data – a nudge to confirm what they wish to believe. Heaven helps those who help themselves; Paradise, but the later the better. How could one not be tempted to speak of ideology here?

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths?: An Essay on the Constitutive Imagination, Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 83_84

Comparée aux siècles chrétiens ou marxistes, l’Antiquité a souvent un air voltairien; deux augures ne peuvent se rencontrer sans sourire l’un de l’autre, écrit Cicéron; je sens que je deviens un dieu, disait un empereur agonisant.
Ce qui pose un problème général. Tels les Dorzé qui estiment à la fois que le léopard jeûne et qu’il faut se garder de lui tous les jours, les Grecs croient et ne croient pas à leurs mythes; ils croient, mais ils s’en servent et ils cessent d’y croire là où ils n’y ont plus intérêt ; il faut ajouter, à leur décharge, que leur mauvaise foi résidait plutôt dans la croyance que dans l’utilisation intéres- sée: le mythe n’était plus qu’une superstition de demi-lettrés, que les doctes révoquaient en doute. La coexistence en une même tête de vérités contradictoires n’en est pas moins un fait universel. Le sorcier de Lévi-Strauss croit à sa magie et la manipule cynique- ment, le magicien selon Bergson ne recourt à la magie que là où il n’existe pas de recettes techniques assurées, les Grecs interrogent la Pythie et savent qu’il arrive à cette prophétesse de faire de la propagande pour la Perse ou la Macédoine, les Romains truquent leur religion d’Etat à des fins politiques, jettent à l’eau les poulets sacrés s’ils ne prédisent pas ce qu’il faudrait, et tous les peuples donnent un coup de pouce à leurs oracles ou à leurs indices statis- tiques pour se faire confirmer ce qu’ils désirent croire. Aide-toi, le ciel t’aidera; le Paradis, mais le plus tard possible. Comment ne serait-on pas tenté de parler ici d’idéologie?

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 94

Paul VeyneLes Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 94

T.

To believe is to obey by Paul Veyne

Each society had its doubters, who were more or less numerous and bold, depending on the indulgence displayed by the authorities. Greece had its share, as is attested by a remarkable line from Aristophanes‘ The Knights*. A slave despairing over his fate says to his companion in misfortune, “The only thing left to do is to throw ourselves at the feet of the gods,” and his comrade answers him, “Indeed! Say, then, do you really believe that there are gods?” I am not sure that this slave’s eyes were opened by the Sophist enlightenment. He belongs to the irreducible fringe of unbelievers who make their refusal less because of reason and the movement of ideas than in reaction to a subtle form of authority, the very same authority that Polybius attributed to the Roman Senate and that is practiced by all those who ally their throne to the altar**. Not that religion necessarily has a conservative influence, but some modalities of belief are a form of symbolic obedience. To believe is to obey. The political role of religion is not at all a matter of ideological content.

Paul Veyne, Did the Greeks Believe in Their Myths?: An Essay on the Constitutive Imagination, Chicago, University of Chicago Press, 1988, pp. 31-32

Chaque société a eu se cancres en piété, plus ou moins nombreux et effrontés selon que l’autorité était plus ou moins indulgente, La Grèce a eu les siens au témoignage d’un vers remarquable des Cavaliers d’Aristophane*; un esclave qui désespère de son sort dit à son compagnon d’infortune: «Il ne nous reste plus qu’à nous jeter aux pieds de images des dieux », et son camarade lui répond: « Vraiment! Dis tu crois vraiment qu’il y a des dieux ?»; je ne suis pas sûr que ce esclave ait eu les yeux dessillés par les Lumières des Sophistes: appartient à la marge incompressible d’incrédules dont le refuses moins dû à des raisonnements et au mouvement des idées qu’a une réaction contre une forme subtile d’autorité, celle-là même que Polybe attribuait au sénat romain et que pratiqueront tous ceux qui allieront leur trône à l’autel**. Non que la religion ait nécessairement une influence conservatrice, mais certaines modalités de croyance sont une forme d’obéissance symbolique; croire, c’est obéir. Le rôle politique de la religion n’est nullement une affaire de contenu idéologique.

Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 44

*Aristophane, Cavaliers, 32; cf. Nilsson, Geschichte der griech Religion, vol. I, p. 780

** Polybe, VI, 56; pour Flavius Josèphe, Contre Apion, Moïse a vu dans la religion un moyen de faire la vertu (II, 160). Même liaison utilitaire de la religion et de la morale chez Platon, Lois, 839 Cet 838 BD. Et chez Aristote, Métaph., 1074 B4.

Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, 1983, Editions du Seuil, Points Essai, p. 44

M.

Make them believe by force by Niccolo Machiavelli

The nature of the people is variable, and whilst it is easy to persuade them, it is difficult to fix them in that persuasion. And thus it is necessary to take such measures that, when they believe no longer, it may be possible to make them believe by force.

La nature des peuples est changeante ; et il est aisé de leur persuader une chose, mais difficile de les tenir fermes en cette persuasion. Aussi faut-il être organisé de façon que, lorsqu’ils ne croiront plus, on puisse les faire croire de force.

Niccolò Machiavelli – Nicolas de Machiavel, Le Prince (1532), Paris, Flammarion, 1992, p.88

T.

The axis of identities by Malek Chebel

The identitys‘s permanence, perceived as an infinity of culminating points whose spatialization would give a sort of linear continuum, is in itself an easy to destroy decoy. In reality, it is the succession, very difficult sometimes, of identity nodes that come to cover cyclically the axis of identities [plural, so], thus marking it of stronger “ligatures” and giving [an] evolutionary and ascencional meaning by which we can represent it.

La permanence de l’identité perçue comme une infinité de points culminants dont la spatialisation donnerait une sorte de continuum linéaire est en soi un leurre facile à détruire. En réalité, c’est la succession, parfois très difficile des nœuds identitaires qui viennent recouvrir cycliquement l’axe des identités [ndlr : au pluriel donc], le marquant ainsi de « ligatures » plus fortes et lui donnant [un] sens évolutif et ascensionnel par lequel nous le représentons.

Malek Chebel, La formation de l’identité politique (1997), Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1998, p. 27

N.

Not in contrast with the myth of the family by Adelina Miranda

In Italy, the media have a fundamental role showing femicide news. Unlike France, killings of women have a very large press coverage, and TV news daily update the number of women killed by men. The media produce and distribute numbers of images and narratives, and develop a collective representation of femicide which is articulated on two criteria. On the one hand, they always evoke crime as an exceptional event; on the other hand, they are very astonished by the fact that the violence takes place within the family environment. Indeed, the speeches produced by the press and the television evacuate all political and social implication, they put forward a face and an individual history while using an interpretative semantics which is based on a reductive vision of the phenomenon. The stories are told in the singular using a recurring statement: a man, more or less in love (even if sometimes he has a relationship with another woman) kills his wife or his companion because it considered leaving him or had already quits. The produced picture is the one of a man who is struck in his love, and sometimes, may be presented as a fragile human being. Because of its exceptional nature, the killing act does not appear to be in contrast with the myth of the family, as a place of love, mutual aid, support, personal fulfillment.

En Italie, les médias ont un rôle fondamental dans la mise en scène des informations sur les féminicides. Différemment de la France, les assassinats perpétrés contre les femmes ont une très grande visibilité dans la presse et les journaux télévisés mettent à jour quotidiennement la liste du nombre de femmes tuées par les hommes. Les médias produisent et distribuent des répertoires d’images et de narrations, et ils élaborent une représentation collective du féminicide articulée autour de deux critères. D’un côté, ils évoquent toujours le crime comme un événement exceptionnel ; d’un autre côté, ils font part d’un grand étonnement dérivé du fait que la violence ait lieu au sein du milieu familial. En effet, les discours produits par la presse et la télévision évacuent toute implication politique et sociale, ils mettent en avant un visage et une histoire individuelle tout en utilisant une sémantique interprétative qui se base sur une vision réductrice du phénomène. Les histoires sont racontées au singulier utilisant un énoncé récurant : un homme, plus ou moins amoureux (même si parfois il entretient une relation avec une autre femme) tue son épouse ou sa compagne car celle-ci envisageait de le quitter ou l’avait déjà quitté. L’image restituée est celle d’un homme qui est frappé dans son amour et parfois présenté comme un être fragile. De par son caractère exceptionnel, l’acte meurtrier n’apparaît donc pas comme étant en contraste avec le mythe de la famille comme lieu de l’amour, d’entraide, de soutien, d’épanouissement personnel.

Adelina Miranda, « Le féminicide : un « mot écran » ? » in On tue une femme, Paris, Hermann, 2019, p.101

A.

Analysis : an impossible profession by Sigmund Freud

It almost looks as if analysis were the third of those “impossible” professions in which one can be sure beforehand of achieving unsatisfying results. The other two, which have been known much longer, are education and government.

FREUD S., Analysis Terminable and Interminable,(1937)

Il semble presque, cependant, qu’analyser soit le troisième de ces métiers « impossibles », dans lesquels on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant. Les deux autres, connus depuis beaucoup plus longtemps, sont éduquer et gouverner.

FREUD S., « Analyse terminée et analyse interminable » In Revue française de psychanalyse, tome XI, n° 1, 1939, p. 33

E.

Election process demonstrates dangers by Alexis de Tocqueville

Applied to the head of the executive power, the election process among a great people demonstrates dangers which experience and historians have sufficiently pointed out.

​Le système de l’élection,  appliqué au chef du pouvoir exécutif chez un grand peuple,  présente des dangers que l’expérience et lez historiens ont suffisamment signalés.

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique vol. 1 (1835), GF-Flammarion, Paris, 1981, p. 200

P.

Politic and primitive thought by Raffaele Simone

A century ago, Freud reminded us how primitive thought survives in several dimensions of human behavior, including the “political” dimension (in the broad sense): “The destinies [of the primal horde] leted traces indestructible in the hereditary history of the genus “(Freud S., Totem and Tabou (1912-1913), 1988, Paris, PUF, p.188).

 

Il y a déjà un siècle, c’est Freud qui rappela que la pensée primitive survit dans plusieurs dimensions du comportement humain, y compris la dimension “politique” (au sens large) : “Les destins [de la horde primitive] ont laissé des traces indestructibles dans l’histoire héréditaire du genre” (Freud S., Totem et Tabou (1912-1913), 1988, Paris, PUF, p.188).

SIMONE R., Si la démocratie fait faillite, 2016, Gallimard, Paris, p.52