S.

Shame embodies intimations of a genuine social reality by Bernard Williams

The ethical work that shame did in the ancient world was applied to some values that we do not share, and we also recognise the separate existence of guilt. But shame continues to work for us, as it worked for the Greeks, in essential ways. By giving through the emotions a sense of who one is and of what one hopes to be, it mediates between act, character, and consequence, and also between ethical demands and the rest of life. Whatever it is working on, it requires an internalised other, who is not designated merely as a representative of an independently identified social group, and whose reactions the agent can respect. At the same time, this figure does not merely shrink into a hanger for those same values but embodies intimations of a genuine social reality -in particular, of how it will be for one’s life with others if one acts in one way rather than another. This was in substance already the ethical psychology even of the archaic Greeks, and, despite the modern isolation of guilt, it forms a substantial part of our own.

Le travail éthique que la honte accomplissait dans le monde antique était appliqué à certaines valeurs que nous ne partageons pas, et nous reconnaissons également l’existence distincte de la culpabilité. Mais la honte continue de fonctionner pour nous, comme elle fonctionnait pour les Grecs, de manière essentielle. En donnant à travers les émotions un sens de ce que l’on est et de ce que l’on espère être, elle sert de médiateur entre l’acte, le caractère et la conséquence, ainsi qu’entre les exigences éthiques et le reste de la vie. Quel que soit le sujet sur lequel il travaille, il a besoin d’un autre internalisé, qui n’est pas simplement désigné comme le représentant d’un groupe social identifié indépendamment, et dont l’agent peut respecter les réactions. En même temps, cette figure ne se réduit pas à un simple cintre pour ces mêmes valeurs, mais incarne des inti mations d’une véritable réalité sociale – en particulier, de ce qu’il en sera de la vie avec les autres si l’on agit d’une certaine façon plutôt que d’une autre. C’était déjà en substance la psychologie éthique des Grecs archaïques et, malgré l’isolement moderne de la culpabilité, elle constitue une partie substantielle de la nôtre.

Bernard A.O. Williams, Shame and necessity, University of California press, 1993, p. 102

S.

Shame is that of being seen by Bernard Williams

The basic experience connected with shame is that of being seen, inappropriately, by the wrong people, in the wrong condition. It is straightforwardly connected with nakedness, particularly in sexual connections. The word aidoia, a derivative of aidos, “shame”, is a standard Greek word for the genitals, and similar terms are found in other languages. The reaction is to cover oneself or to hide, and people naturally take steps to avoid the situations that call for it : Odysseus would be ashamed to walk naked with Nausikaa’s companions. From this there is a spread of applications through various kinds of shyness or embarrassment. When the gods went to laugh at the spectacle of Aphrodite and Ares caught inextricably in flagrante delicto by Hephaistus’s nets, the goddesses stayed at home, aidõi, “from shame.” In the same vocabulary Homer can describe Nausikaa’s embarrassment at the idea of mentioning to her father her desire for marriage, Penelope’s refusal to appear by herself before the suitors, and Thetis’s hesitation to go and visit the gods.

L’expérience fondamentale liée à la honte est celle d’être vu, de manière inappropriée, par les mauvaises personnes, dans les mauvaises conditions. Elle est directement liée à la nudité, en particulier dans les relations sexuelles. Le mot aidoia, un dérivé de aidos, “honte”, est un mot grec standard pour les organes génitaux, et on trouve des termes similaires dans d’autres langues. La réaction est de se couvrir ou de se cacher, et les gens prennent naturellement des mesures pour éviter les situations qui l’exigent : Ulysse aurait honte de se promener nu avec les compagnons de Nausikaa. De là, il y a une propagation des applications à travers les différentes sortes de timidité ou d’embarras. Lorsque les dieux sont allés rire au spectacle d’Aphrodite et d’Arès pris inextricablement en flagrant délit par les filets d’Héphaïstos, les déesses sont restées chez elles, aidõi, “de honte “. Dans le même vocabulaire, Homère peut décrire l’embarras de Nausikaa à l’idée de mentionner à son père son désir de mariage, le refus de Pénélope de se présenter seule devant les prétendants, et l’hésitation de Thétis à aller rendre visite aux dieux.

Bernard A.O. Williams, Shame and necessity, University of California press, 1993, p. 78

D.

Deep difference between Shame and Guilt by Bernard Williams

Yet we have another word, “guilt“, for which the Greeks had no direct equivalent. This determines for us another concept, and perhaps a distinct experience. Some people think that this difference between ourselves and the Greeks is ethically very im portant. We must ask whether this is so. First we have to consider how shame and guilt are, in our conception of things, related to one another. The mere fact that we have the two words does not, in itself, imply that there is any great psychological difference between shame and guilt. It might merely be that we set up an extra verbal marker within one and the same psychological field, in order to pick out some particular applications of what would otherwise be shame – its application to one’s own actions and omissions, perhaps. This might be so, but I do not think that in fact it is. The distinction between shame and guilt goes deeper than this, and there are some real psychological differences between them. The most primitive experiences of shame are connected with sight and being seen, but it has been interestingly suggested that guilt is rooted in hearing, the sound in oneself of the voice of judgement; it is the moral sentiment of the word.

Bernard A.O. Williams, Shame and necessity, University of California Press, Los Angeles, 1993, p. 88 – 89

Cependant, nous employons un autre mot, celui de culpabilité, pour lequel les Grecs n’offrent pas d’équivalent direct. C’est pour nous un autre concept et, peut-être, une autre expérience. D’aucuns pensent que cette différence entre nous et les Grecs est éthiquement très importante. On doit se demander si c’est bien le cas. D’abord il faut voir comment la honte et la culpabilité sont, dans notre vision des choses, liées l’une à l’autre. Le simple fait que nous ayons les deux mots n’implique pas, par lui-même, qu’il y ait une grande différence psychologique entre la honte et la culpabilité. Cela pourrait simplement signifier que nous disposons d’un marqueur verbal supplémentaire à l’intérieur d’un seul et même champ psychologique, afin de spécifier certaines situations particulières au sein de ce qui, globalement, ressortit à la honte – les cas peut-être où l’individu est renvoyé à ses propres actions et à ses propres défaillances. Il pourrait en être ainsi, mais telle n’est pas mon opinion. La distinction entre honte et culpabilité va plus profond que cela, et il y a des différences psychologiques réelles entre ces deux sentiments. Les expériences les plus primitives de la honte sont liées au fait de voir et d’être vu, tandis qu’on a suggéré, non sans pertinence, que le sentiment de culpabilité prendrait sa source dans le fait d’entendre en soi-même la voix du jugement.

Bernard A.O. Williams, La honte et la nécessité (1993), PUF, Paris, 1997, p. 123