J.

Jouissance as a form of evil and moral law by Jacques Lacan

The first concerns the individual who is placed in the situation of being executed on his way out, if he wants to spend time with the lady whom he desires unlawfully – it’s not a waste of time to emphasize this, because even the apparendy simplest details consdtute traps. […] Thereupon, Kant, our dear Kant, tells us in all his innocence, his innocent subterfuge, that in the first case everyone, every man of good sense, will say no. For the sake of spending a night with a woman, no one would be mad enough to accept an outcome that would be fatal to him, since it isn’t a ques- tion of combat but of death by hanging. For Kant, the answer to the question is not in doubt. […] Can’t we stop here and offer our critique? The striking significance of the first example resides in the fact that the night spent with the lady is paradoxically presented to us as a pleasure that is weighed against a punishment to be undergone; it is an opposition which homogenizes them. There is in terms of pleasure a plus and a minus. […] But it is important to note that one only has to make a conceptual shift and move the night spent with the lady from the category of pleasure to that of jouissance, given that jouissance implies precisely the acceptance of death – and there’s no need of sublimation – for the example to be ruined. In other words, it is enough for jouissance to be a form of evil, for the whole thing to change its character completely, and for the meaning of the moral law itself to be completely changed. Anyone can see that if the moral law is, in effect, capable of playing some role here, it is precisely as a support for the jouissance involved; it is so that the sin becomes what Saint Paul calls inordinately sinful. That’s what Kant on this occasion simply ignores.

Jacques Lacan, The Ethics of Psychoanalysis 1959-1960 - The Seminar Book VII, Tr. Dennis Porter, Tavistock/Routledge, 1992, pp. 188-189

Son exemple est composé, je vous le rappelles de deux historiettes. La première concerne le personnage mis en posture d’être à la sortie exécuté, s’il veut aller trouver la dame qu’il désire illégalement – il n’est pas inutile de le souligner, car tous les détails apparemment les plus simples jouent ici le rôle de piège. […] La-dessus, Kant, le cher Kant dans toute son innocence, sa rouerie innocente, nous dit que dans le premier cas, tout un chacun, tout homme de bon sens, dira non. Personne n’aura la folie, pour passer une huit avec sa belle, de courir à une issue fatale, puisqu’il ne s’agit pas seulement d’une lutte, mais d’une exécution au gibet. Pour Kant, la question ne fait pas un pli. […] Ne pouvons-nous ici nous arrêter, et porter la critique ? La portée saisissante du premier exemple repose sur ceci, que la nuit passée avec la dame nous est paradoxalement présentée comme un plaisir, mis en balance avec la peine à subir, dans une opposition qui les homogénéise. Il y a un plus et un moins en termes de plaisir. […] Mais remarquez ceci – il suffit que, par un effort de conception, nous fassions passer la nuit avec la dame de la rubrique du plaisir à celle de la jouissance, en tant que la jouissance – nul besoin de sublimation pour cela – implique précisément l’acceptation de la mort, pour que l’exemple soit anéanti. Autrement dit, il suffit que la jouissance soit un mal pour que la chose change complètement de face, et que le sens de la loi morale soit dans l’occasion complètement changé. Tout un chacun s’apercevra en effet que, si la loi morale est susceptible de jouer ici quelque rôle, c’est précisément à servir d’appui à cette jouissance, à faire que le péché devienne ce que Saint Paul appelle démesurément pécheur. Voilà ce qu’en cette occasion Kant ignore tout simplement.

Jacques Lacan, “L’amour du prochain” in L’éthique de la psychanalyse Le Séminaire Livre VII (23 mars 1960), Editions du Seuil, 1986, pp. 229-230

Jacques Lacan, “L’amour du prochain” in L’éthique de la psychanalyseLe Séminaire Livre VII (23 mars 1960), Editions du Seuil, 1986, pp. 229-230

T.

The prayer of the dead who will die tomorrow by Günther Anders

As nothing could have inspired them with a deeper dread than the desperate vision of a death without Kaddish, and since only such a death constituted a true death for them, Noé paused to wait until this dread had thoroughly seized all minds. The lips of one of the five men standing before him quivered, but no words came out of his mouth. Noé was pleased with the effect of his words and then knew that his hour had come.
‘If I am here before you,’ he continued, ‘it is because an order has been given to me. The order to warn you that the worst is about to happen. Reverse time,’ the voice told me, ‘anticipate today the pain of tomorrow, shed your tears in advance! The prayer of the dead that, as a child, you learned to recite one day at your father’s grave, say it now for the sons who will die tomorrow and the grandsons who will never be born! For, the day after tomorrow, it will be too late.’ – That’s what I was ordered.

Günther Anders, Die Atomare Drohung: Radikale Überlegungen (1981) [The Atomic Threat: Radical Considerations]. Munich: C.H. Beck.

Puisque rien n’aurait pu leur inspirer un plus profond effroi que la vision désespérée d’une mort sans kaddish et puisque seule une telle mort constituait pour eux une véritable mort, Noé fit une pause pour attendre que cet effroi se soit bien emparé de tous les esprits. Les lèvres de l’un des cinq hommes qui se tenaient devant lui tremblaient, mais aucun mot ne sortait de sa bouche. Noé fut content de l’effet produit par ses paroles et sut alors que son heure était arrivée.
«Si je suis là devant vous, poursuivit-il, c’est parce qu’un ordre m’a été donné. L’ordre de vous prévenir que le pire allait avoir lieu. Renverse le temps, m’a dit la voix, anticipe aujourd’hui la douleur de demain, verse d’avance tes larmes! La prière des morts qu’en- fant, tu as apprise pour la dire un jour sur la tombe de ton père, dis-la maintenant pour les fils qui vont mourir demain et les petits-fils qui ne naîtront jamais! Car, après-demain, il sera trop tard. – Voilà ce qu’on m’a ordonné.

Günther Anders, La Menace nucléaire – Considérations radicales sur l’âge atomique (1981), Editions du Rocher, 1986, Paris, p. 30

Günther Anders, La Menace nucléaire – Considérations radicales sur l’âge atomique (1981), Editions du Rocher, 1986, Paris, p. 30

B.

Better life after death as a recompense by Sigmund Freud

Religions continue to dispute the undeniable fact of the death of each one of us and to postulate a life after death; civil governments still believe that they cannot maintain moral order among the living if they do not uphold this prospect of a better life after death as a recompense for earthly existence. In our great cities, placards announce lectures which will tell us how to get into touch with the souls of the departed; and it cannot be denied that many of the most able and penetrating minds among our scientific men have come to the conclusion, especially towards the close of their lives, that a contact of this kind is not utterly impossible. Since practically all of us still think as savages do on this topic, it is no matter for surprise that the primitive fear of the dead is still so strong within us and always ready to come to the surface at any opportunity. Most likely our fear still contains the old belief that the deceased becomes the enemy of his survivor and wants to carry him off to share his new life with him. Considering our unchanged attitude towards death, we might rather inquire what has become of the repression, that necessary condition for enabling a primitive feeling to recur in the shape of an uncanny effect. But repression is there, too. All so-called educated people have ceased to believe, officially at any rate, that the dead can become visible as spirits, and have hedged round any such appearances with improbable and remote circumstances; their emotional attitude towards their dead, moreover, once a highly dubious and ambivalent one, has been toned down in the higher strata of the mind into a simple feeling of reverence.

Sigmund Freud, The “Uncanny”, First published in Imago, Bd. V., 1919; reprinted in Sammlung, Fünfte Folge. Translated by Alix Strachey

De nos jours encore, les religions contestent son importance au fait incontestable de la mort individuelle, et elles font continuer l’existence par-delà la fin de la vie ; les autorités publiques ne croiraient pas pouvoir maintenir l’ordre moral parmi les vivants, s’il fallait renoncer à voir la vie terrestre corrigée par un au-delà meilleur ; on annonce sur les colonnes d’affichage de nos grandes villes des conférences qui se proposent de faire connaître comment on peut se mettre en relation avec les âmes des défunts, et il est indéniable que plusieurs des meilleurs esprits et des plus subtils penseurs parmi les hommes de science, surtout vers la fin de leur propre vie, ont estimé que la possibilité à de pareilles communications n’était pas exclue. Comme la plupart d’entre nous pense encore sur ce point comme les sauvages, il n’y a pas lieu de s’étonner que la primitive crainte des morts soit encore si puissante chez nous et se tienne prête à resurgir dès que quoi que ce soit la favorise. Il est même probable qu’elle conserve encore son sens ancien : le mort est devenu l’ennemi du survivant, et il se propose de l’emmener afin qu’il soit son compagnon dans sa nouvelle existence. On pourrait plutôt se demander, vu cette immutabilité de notre attitude envers la mort, où se trouve la condition du refoulement exigible pour que ce qui est primitif puisse reparaître en tant qu’inquiétante étrangeté. Mais elle existe cependant ; officiellement, les soi-disant gens cultivés ne croient plus que les défunts puissent en tant qu’âmes réapparaître à leurs yeux, ils ont rattaché leur apparition à des conditions lointaines et rarement réalisées, et la primitive attitude affective à double sens, ambivalente, envers le mort, s’est atténuée dans les couches les plus hautes de la vie psychique jusqu’à n’être plus que celle de la piété.

Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté, Das Unheimliche, 1919, Essais de psychanalyse appliquée, traduit par M Bonaparte et E Marty

Sigmund Freud, “L’inquiétante étrangeté” in Essais de psychanalyse appliquée (1933), Gallimard, Paris, 1971